Le monde de la banque suisse analyse ApplePay

Avec son système ApplePay de paiement par mobile sans contact, Apple veut révolutionner l’univers du paiement. Face à cet ambitieux projet, les experts de la banque et de la finance numérique en Suisse analysent les potentiels.

«ApplePay fonctionne avec les meilleures banques, dont cellesqui détiennent 83% des cartes de crédit (aux Etats-Unis)», assure Apple. Si les banques américaines sont déjà embarquées dans le projet, les banques du continent européen et les suisses en particulier ne devraient pas tarder à être contactées par la firme de Cupertino.

Paiements en ligne et paiement dans les commerces

Chez la plus grande des institutions suisses, UBS, Andreas Kubli, responsable multicanal et digitalisation, dit «attendre avec impatience d’avoir plus de détails de la part d’Apple sur la nouvelle solution». Mais d’ores et déjà, il trouve «super qu’Apple introduise la technologie NFC sur ses terminaux mobiles». Du côté d’UBS, un travail a déjà été réalisé dans ce domaine: «Nous avons introduit cette technologie depuis passablement de temps, avec une access card à la fois sûre et pratique dans le cadre de notre offre mobile banking». Cependant, cette possibilité n’était jusqu’alors offerte qu’aux détenteurs d’un smartphone sous Android, l’iPhone n’ayant pas encore adopté la puce NFC.

Si Andreas Kubli trouve le système ApplePay «particulièrement intéressant, notamment en ce qui concerne l’e-commerce, car on sent que c’est un besoin croissant chez nos clients de pouvoir acheter et payer de façon simple et sûre via le téléphone mobile». Pour le commerce en magasins traditionnels par contre, Andreas Kubli est plus prudent: compatibilité des équipements et disponibilité des terminaux de paiement sans contact dans de nombreux commerces pourraient constituer des freins à la diffusion et à l’usage de cette technologie. «Vraisemblablement, cela prendra plus de temps que les paiements online, car nombre de clients ont déjà une solution de paiement sans contact efficace avec les cartes bancaires munies de puces NFC», estime-t-il.

Apple mise sur les communautés

Du côté de SwissmeFin, société de conseils aux banques privées, Christophe Lamon, managing director, trouve cette offre très pertinente car «Apple a misé sur la continuité de son modèle d’affaires à savoir la vente d’appareils qui deviennent également des portefeuilles électroniques. Apple entend réussir en valorisant les communautés et le partenariat: les services à la communauté de clients Apple sont renforcés et leurs données de paiement préservées tout en s’appuyant sur les cartes de crédits existantes; les émetteurs de cartes de crédit conservent le traitement du paiement et bénéficient du transfert de volume, et enfin la communauté des marchands évite la gestion du cash et profite de l’accélération du passage aux caisses. La conversion de ces derniers constitue le facteur clé de succès».

Certes, les banques privées risquent d’être moins impactées que des banques cantonales ou des établissements comme UBS, Credit Suisse, Raiffeisen ou La Poste. Mais la révolution du digital est en marche dans cet univers et ses acteurs observent avec attention ce qui se fait et peut concerner leurs clients: «Tout ce qui va faciliter la vie de nos clients sur le plan opérationnel sera positif», juge ainsi Olivier Collombin, responsable des gérants de fortune indépendants chez Lombard Odier.

Une solution mieux packagée

Pour lui, l’arrivée d’Apple dans le domaine des transactions monétaires ne fait que confirmer son analyse de longue date: «Si les acteurs traditionnels du secteur bancaire n’anticipent pas les évolutions et notamment les demandes des clients, ils laissent le champ libre à d’autres acteurs». Pour lui, la réactivité des banquiers pourrait être plus importante: «Ce n’est pas la première tentative de développer le paiement sans contact par mobile en Suisse, mais sans réel succès majeur et de grande ampleur jusqu’à présent. La différence avec ApplePay c’est qu’Apple, comme la firme l’a déjà fait par le passé pour les smartphones, les tablettes, amène une solution mieux packagée».

Si les banques privées pourraient être moins touchées par cette révolution, d’autres sont en première ligne. Andrey Duka a misé sur le digital pour construire Dukascopy. «L’engagement d’Apple de la nouvelle technologie NFC confirme pleinement nos prévisions comme quoi l’année à venir sera celle de la révolution dans les micro-paiements. Nous sommes absolument sûrs qu’à la suite d’Apple, tous les autres géants du mobile vont annoncer leur engagement dans la voie NFC».

Pour cet entrepreneur qui a bâti son business sur les services financiers et bancaires en ligne, l’initiative d’Apple participe à la stratégie mise sur pied. «Nous saluons les mesures pour le développement de cette technologie, et la diffusion de celui-ci. Techniquement, nous sommes prêts à intégrer la technologie dans nos services dès qu’elle sera largement soutenue par le secteur. Actuellement, Dukascopy Group est engagé dans le processus d’obtention d’une licence eMoney et de paiement en ligne auprès de l’Union européenne, basée sur le paiement de mobile à mobile. En fait, notre solution de paiement eMoney constitue une préparation de notre groupe bancaire à intégrer la technologie NFC. Nous espérons lancer des opérations dans environ trois mois, après obtention de la licence. Sur le plan technologique, nous sommes prêts à lancer des services dans ce domaine».

Un grand nombre d’iPhones en Suisse

Et ce type de services via l’iPhone pourrait avoir un certain succès en Suisse: «La population détentrice d’un iPhone en Suisse est particulièrement élevée», rappelle Laurent Haug, partenaire chez Anthemis, une société qui investit dans les startups financières. Toutefois, il note que les responsables d’Apple ont annoncé lors de la keynote que le déploiement d’ApplePay interviendrait «plus tard en Europe».

Au niveau du système, il voit là une belle opportunité pour les acteurs en place: «Apple doit trouver des accords avec trois types d’acteurs: les sociétés de cartes de crédit, les banques et le commerce. Les banques, et notamment en Suisse, disposent donc dans un premier temps du pouvoir. Mais en proposant une innovation que les banques auraient dû elles-mêmes offrir à leurs clients, Apple va les obliger à payer une commission. Et si ApplePay remporte le succès, le centre de gravité du pouvoir passera progressivement du côté d’Apple dans les années à venir».

Pour ce qui est du support, Laurent Haug voit une solution optimale: «L’intégration du système de paiement sans contact au smartphone peut aider à diffuser ce mode de paiement: les cartes de crédit équipées d’une puce NFC ne permettaient aucune authentification du payeur. Tandis que le smartphone, via la reconnaissance d’empreinte digitale, garantit une sécurité accrue qui va rassurer les utilisateurs et permettre de remonter peut-être les plafonds de paiement sans contact. Le smartphone est vraiment devenu ces dernières années une carte d’identité, une carte de paiement,…».

Dernier point crucial selon lui: les données. Si Tim Cook a promis lors de la keynote que les transactions seraient anonymisées et que même Apple ne saurait ni qui est le vendeur ni qui est l’acheteur, les opérations vont générer des masses de données. «Et techniquement, il est possible de stocker ces données sans qu’Apple les consulte ou les utilise, et les transmettre aux clients eux-mêmes. Ce serait un service très intéressant pour le consommateur que de bénéficier de ces datas. Et n’oublions pas que, comme l’a dit Tim Cook au moment d’introduire U2, iTunes c’est 500 millions d’utilisateurs, donc 500 millions de cartes bancaires enregistrées par Apple. Une gigantesque banque de données».

Matthieu Hoffstetter
Bilan. 10 septembre 2014