La FINMA, accusée de nuire à la compétitivité de la Suisse

Certaines voix dénoncent les exigences toujours plus contraignantes de la part de l’organe de surveillance des marchés.

Parmi les nombreux objectifs de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers figure celui d’améliorer la réputation de la place financière suisse. Mais aussi sa compétitivité. Il semblerait toutefois que ce deuxième point soit de plus en plus souvent remis en question par un nombre croissant d’acteurs de cette même place financière, notamment par les gérants indépendants. Fondateur de la société Dominicé & Co, qui gère le hedge fund Cassiopeia, Michel Dominicé observe un certain durcissement dans la pratique de la Finma depuis 2009. Une tendance, selon lui, qui ne devrait aller qu’en se renforçant avec la révision de la Loi fédérale sur les placements collectifs de capitaux (LPPC), dont l’entrée en vigueur est prévue au début de l’année prochaine. Il constate que les échanges deviennent plus difficiles avec l’organisation, dont les exigences se font de plus en plus «tatillonnes» pour le moindre changement: «Nous allons plus loin que la plupart de nos homologues européens, regrette Michel Dominicé. Même les avocats spécialisés ont de la peine à anticiper et à comprendre certaines décisions de la Finma.» Les conséquences de ce haut niveau de contrôle étant l’établissement de plusieurs fonds de placement en dehors des frontières suisses, notamment au Luxembourg où les autorités de surveillance se montreraient plus pragmatiques et ouvertes à attirer des affaires et des emplois. La base du problème serait que la Finma ne ferait pas une distinction suffisante entre les différentes catégories d’investisseurs: les qualifiés, c’est-à-dire les professionnels bénéficiant d’un degré de protection suffisant et «sachant ce qu’ils font», et les autres. Cette «hantise» de vouloir protéger plus que nécessaire aurait au final des résultats contre-productifs en termes de sécurité, puisque de nombreux investisseurs préféreraient «investir dans des produits moins protégés, notamment aux Caïmans», que dans des produits sûrs enregistrés en Suisse. Bref, on aurait, selon Michel Dominicé, de plus en plus l’impression que «la Finma n’a pas de vision commerciale pour la Suisse».

Trop pointilleuse

Pour sa part, le directeur de la société de conseils financiers SwissmeFin, Christophe Lamon – dont l’associé Christian Meylan a travaillé comme consultant auprès de MAS, l’organe de régulation financière de Singapour – estime que «le côté pointilleux actuel de la Finma», en rapport avec le passé, ne fait que refléter le changement de paradigme de ces dernières années, à savoir que la Suisse a perdu des aspects essentiels de sa compétitivité qu’étaient «la prévisibilité et l’étanchéité du droit suisse». Cette dernière n’existant plus dans le sens où les banques helvétiques se font attaquer sur leur pré carré par des régulateurs ou des institutions gouvernementales étrangères. Quant à la prévisibilité du droit, elle n’existe plus non plus dans le sens où la classe politique «cède sur des éléments essentiels du droit bancaire helvétique sans pour autant offrir une vision de sortie». Dès lors, pour Christophe Lamon, la position actuelle de l’organisme de contrôle ne fait que refléter cette incertitude face aux lois futures et lui fait adopter une attitude maximaliste: «Constatant que les limites de l’acceptable bougent tous les jours en fonction du rapport de forces politique, la Finma se concentre sur la prévention de nouveaux cas.» Les visions divergentes des partis gouvernementaux face aux politiques de la place financière ne laissent selon lui augurer que peu d’amélioration. Par ailleurs, en comparant l’attitude actuelle de l’organisation avec d’autres régulateurs (tels que MAS à Singapour ou le FSA en Angleterre), les deux associés considèrent que celle-là ne joue ni un rôle de promoteur économique à l’instar du premier ni de «gendarme orienté» de la place financière dans le cas du second. «Le rôle de promoteur en Suisse est échu au Conseil fédéral. Or celui-là ainsi que les chefs de partis gouvernementaux sont bien loin d’un alignement des vues», relève Christophe Lamon, pour qui le comportement de la Finma reflète une minimisation du risque: les bénéfices d’une politique plus risquée seraient crédités au politique, tandis que les revers lui seraient immédiatement imputés. Les reproches n’émanent pas uniquement des petites structures. Les grandes banques, comme Credit Suisse, s’inquiètent aussi du renforcement des mesures visant à accroître la protection des investisseurs et qui exigent des dépenses et des efforts toujours plus importants, notamment en matière de formation. La banque note par exemple qu’il devient de plus en plus difficile pour un conseiller à la clientèle de s’occuper de plus de deux ou trois zones géographiques en raison de l’augmentation des nouvelles exigences de documentation et de l’impossibilité de connaître toutes les réglementations locales en vigueur.

3800 gérants de fortune en Suisse

Pour sa part, la Finma répond à ces critiques en soulignant qu’en ce qui concerne les gérants de fortune ceux-là ne sont soumis en Suisse qu’à une surveillance sous l’angle de la loi sur le blanchiment d’argent (LBA). Le contrôle se limitant au respect des devoirs de diligence de la loi, comme par exemple le devoir d’identifier ses clients. Ils ne sont soumis pour l’heure à aucune surveillance étatique prudentielle: «Aucun contrôle étatique n’est conduit pour vérifier que les gérants respectent des devoirs de comportement visant la protection des investisseurs», note Tobias Lux, porte-parole de la Finma, en ajoutant qu’aucun contrôle n’est conduit sur leur état financier et qu’il en va de même des sociétés offrant des services fiduciaires (trusts, fondations). La révision de la LPCC ne change rien à cette situation, puisque celle-là n’introduit «aucunement» une surveillance prudentielle des gérants de fortune mais concerne uniquement les gérants de placements collectifs. «Jusqu’à présent, seuls les gérants de fonds suisses étaient soumis à la surveillance de la Finma, poursuit Tobias Lux. La révision de la LPCC a introduit une nouvelle obligation d’assujettissement pour les gérants de fonds étrangers de grande taille, c’est-à-dire à partir d’un seuil de 100 millions.» Il note par ailleurs que les gérants de fonds étrangers concernés ont un délai de deux ans à partir de l’entrée en vigueur de la loi, prévue en février 2013, pour déposer une requête. Des exigences qui ne concernent toutefois ni la gestion de fortune individuelle ni les services fiduciaires. Selon les estimations de l’association, le nombre de gérants de fortune en Suisse s’élève à environ 3800. Quant au nombre de gérants de fonds suisses surveillés par la Finma, il se chiffre à environ une centaine.

Des coûts financés par les établissements

En ce qui concerne la comparaison avec d’autres places financières concurrentes, l’association, qui emploie quelque 350 collaborateurs, en revient à l’absence de surveillance prudentielle des gérants de fortune, une situation qualifiée d’unique en Europe. Tobias Lux relève que la directive européenne concernant les marchés d’instruments financiers (MiFID) prévoit différentes exigences envers les gérants de fortune visant la protection des investisseurs, notamment en matière de compétences, d’organisation, de règles de comportement ou de fonds propres. Il note par ailleurs que Singapour prévoit elle aussi «des exigences de type prudentiel pour les gérants de fortune». Enfin, en ce qui concerne les coûts, intégralement financés par les établissements surveillés par le biais d’émoluments et de taxes de surveillance, la Finma relève que si les gérants les considèrent élevés ils peuvent s’assujettir auprès de l’un des onze organismes d’autorégulation autorisés par l’organisation. Ceux qui choisissent de s’assujettir directement auprès d’elle doivent s’acquitter d’une taxe de surveillance annuelle, qui varie selon leur capacité financière. A titre d’exemple, la majorité des intermédiaires financiers du secteur parabancaire directement assujettis à la Finma doivent s’acquitter aujourd’hui d’une taxe annuelle inférieure à 1300 francs, le maximum étant de 15 500 francs.

William Türler
Bilan. 7 novembre 2012

La gestion de fortune suisse doit se réinventer

Les établissements helvétiques de taille moyenne devront modifier leur modèle d’affaires pour aller chercher de nouveaux clients à l’étranger.

La gestion de fortune genevoise doit se réinventer, si elle veut préparer sa croissance future. Ce ne sera pas chose simple; cela passe par une évolution en profondeur des modèles d’affaires, si l’on en croit Christophe Lamon, cofondateur de SwissmeFin, et Dominique Freymond, associé de management & advisory services (MAS) et administrateur indépendant. Le modèle des banques privées traditionnelles, concurrencé par les intermédiaires financiers et certaines banques étrangères durant la dernière décennie, a démontré ses vertus lors de la crise de 2008. «L’année 2008 a vu le triomphe du modèle de banque privée genevoise», observe Christophe Lamon. Les produits structurés de Lehman Brothers, les risques sur les fiduciaires «Fortis» et l’affaire Madoff ont démontré les mérites du modèle intégré d’une banque qui garde la maîtrise sur l’entier de la chaîne de valeur, car cette approche «en responsabilité» amène les banques à éviter avec soin les risques d’affaires, légaux et de contreparties. Toutefois, le brusque changement des conditions cadres en Suisse, dès 2009, a remis en question ce modèle d’affaires. Accepté en mars 2009 par Berne, le principe de l’échange d’informations fiscales à la demande a porté un coup à l’attractivité de la gestion transfrontalière défiscalisée (offshore), qui a longtemps constitué le fonds de commerce des banques privées. Le succès récent de la proposition helvétique (initialement appelée «Rubik») consistant à imposer à la source, sur une base anonyme, les avoirs des ressortissants européens, permet aux banques suisses d’offrir une solution de compromis, qui évite pour l’heure l’échange automatique d’informations fiscales et le risque d’un retrait rapide de ces avoirs des banques.

Christophe Lamon: « Acquérir des clients dans les nouveaux eldorados exige une évolution en profondeur, selon le consultant. »

Perte d’attractivité

Si ce mode de fiscalisation des comptes européens non déclarés préserve la sphère privée de la clientèle, il entraîne malgré tout une perte d’attractivité pour ce type de comptes, en engendrant un coût fiscal qui n’existait pas auparavant. Suite à la signature récente par la Suisse des deux accords d’impôt libératoire avec Berlin et Londres, on peut s’interroger si les comptes concernés par ce type d’accords va rester en Suisse. La réponse dépendra du coût fiscal final comparé à ce que ces mêmes clients auraient payé dans leur pays, si leurs avoirs étaient déclarés ou légalisés. «Est-ce qu’en termes financiers, la possibilité de se légaliser au travers de l’accord Suisse-Allemagne est plus favorable ou non que la procédure d’annonce directe au fisc allemand? On le saura lorsqu’on connaîtra la base sur laquelle seront imposés les clients sous le régime de l’impôt libératoire», répond Charles Hermann, partenaire chez KPMG à Zurich. A l’heure actuelle, seul le taux d’imposition est connu, et non la base, ce qui ne permet pas encore de comparer les situations des deux côtés de la frontière. En revanche, «si on ne veut pas payer l’impôt libératoire, une seule solution: il faut quitter la Suisse», souligne Charles Hermann. La conséquence pour les banques privées en Suisse est qu’elles devront adapter leur modèle d’affaires à de nouveaux marchés, si elles envisagent de se développer. Si l’accompagnement des clients existants pourra se faire à partir de la Suisse par l’intégration des aspects fiscaux et par l’alignement des conditions économiques, l’acquisition en local impose aux banques d’adapter leur modèle d’affaires au contexte, ce qui dépasse les aspects réglementaires et fiscaux, expliquent Christophe Lamon et Dominique Freymond. Dans ce cadre, la culture et les valeurs des banques privées historiques peuvent s’avérer un obstacle. «Ces marchés questionnent les valeurs, les pratiques, les modèles d’affaires et la structure opérationnelle des banques privées suisses», constate Christophe Lamon. Il s’agit désormais d’adapter le modèle aux cultures locales.

Les nouveaux eldorados

L’Asie, en particulier la Chine et l’Inde, le Brésil et la Russie se sont imposés comme les marchés clés pour qui veut prendre part à la croissance des eldorados des nouvelles fortunes. Une culture de la confidentialité, une chaîne de valeurs intégrée, un modèle basé sur les services plutôt que sur les produits, tout cela devient soudain moins praticable sur ces nouveaux marchés, en particulier lorsque l’on pose la contrainte de la rentabilité. Ces pays ont développé des organisations de services spécifiques, adaptés au niveau de maturité de leurs clients, aux offres des concurrents et aux exigences réglementaires locales. Alors que le service a toujours été le cœur de la prestation des banques privées, celui-ci n’est pas valorisé au Brésil. «Dans ce pays, le client n’a pas la notion de service. Il rétribue uniquement le produit, qui doit être orienté performance», explique Christophe Lamon. Les commissions s’élèvent en moyenne à 60 points de base (pb), soit quasiment la moitié de ce que payaient les clients offshore en Suisse, alors que les salaires dans la finance sont proches de ceux pratiqués en Suisse. Le consultant souligne que «trouver le modèle de service et de rémunération adapté à ce pays de la taille d’un continent relève de la gageure, mais est possible». Cette adaptation a également lieu en Europe, où l’enjeu est de trouver le modèle opérationnel et de service capable de tenir en France, en Italie et en Espagne par rapport aux offres des banques de réseaux. Pour illustrer comment les valeurs de confidentialité peuvent constituer un obstacle, prenons l’exemple du marché espagnol. Une banque privée suisse qui voudrait y délivrer au plan local son approche intégrée de service voudrait y mener de front ses trois métiers traditionnels: conservation de patrimoine, gestion, et relation au client. Or vu les concurrents locaux, la conservation finale (custody) dans ce pays nécessite une taille critique d’au minimum 60 milliards d’actifs. Il serait donc logique de s’adosser à un acteur local qui agirait comme dépositaire, et de se concentrer sur les deux autres métiers. Mais la banque suisse devrait alors renoncer à une part de la confidentialité de la relation, car au contraire de la Suisse, une banque de dépôt en Espagne connaît l’investisseur final. Autre exemple: en Asie, les banques privées doivent accepter de prendre un risque de crédit, car il est dans la culture d’investissement des clients locaux d’emprunter pour faire du trading.

Dominique Freymond: « Répliquer le même modèle partout n’est plus possible,  selon l’administrateur indépendant. »

Une expansion coûteuse

«Tout cela impose la définition d’autres modèles de tarification, l’emploi d’autres profils bancaires sur ces marchés, et une révolution culturelle dans les banques suisses», estime Dominique Freymond. Principale difficulté, chaque pays requiert un développement propre. «Auparavant, il était possible de répliquer le même modèle à Guernesey et à Nassau, explique Dominique Freymond. Désormais, il faudra tenir compte des conditions locales de chaque pays, ce qui rend les stratégies d’expansion plus coûteuses.» A ce jeu-là, les grandes banques sont les plus fortes. Quant aux banques suisses de taille moyenne, les consultants estiment plus judicieux qu’elles ciblent un nombre limité de marchés étrangers, en opérant des choix exclusifs, en raison des coûts élevés inhérents aux stratégies onshore.

Myret Zaki
Bilan. 12 septembre 2011

Gestion de fortune: Singapour appelée à devancer la Suisse

Diverses études annoncent cette prise de pouvoir alors que le cadre légal et réglementaire des deux Etats est similaire. Ce déclin est alimenté par une psychose collective favorisée par certaines banques.

Alors qu’il y a quelques jours, Les Echos se demandaient prudemment si Singapour allait détrôner la Suisse en matière de gestion de fortune, un rapport du Boston Consulting Group confirmait la tendance. Il est vrai qu’il est impossible de nier le fait que la zone Asie-Pacifique est, et restera encore longtemps, la plus dynamique en termes de création de richesses. Une étude menée par Merrill Lynch et Cap Gemini le démontre et indique que les «high net worth individuals» (HNWIs), soit les personnes détenant plus d’un million de dollars en excluant leur résidence principale, ont progressé de 8,3% en 2010 pour être près de 11 millions d’individus. Sur ce nombre, 3,3 millions sont domiciliés dans la zone Asie-Pacifique, soit davantage qu’en Europe.

Cela étant, la pression du «Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales» a contraint Singapour à modifier son cadre légal et réglementaire, à l’image de la Suisse. «A l’heure actuelle, le cadre réglementaire singapourien n’est globalement pas plus protecteur de la sphère privée des clients bancaires que le système suisse», relève Me André Grüber, associé de l’étude genevoise DGE. Un avis que partage l’avocat fiscaliste Xavier Oberson: «Singapour a signé certains accords afin d’appliquer le standard imposé par l’OCDE. Ce qui pourrait encore différencier la Suisse de ce pays sera la mise en œuvre.»

Le Forum mondial, organisé par l’OCDE, a publié des rapports sur 25 de ses membres. Lors de la première phase, seul le cadre légal et réglementaire est examiné par des pairs de deux pays tiers. Pour la Suisse, l’examen a été mené par des experts argentins et danois. Singapour a également passé cette première étape avec succès, étant quant à elle analysée par des experts allemands et des îles Caïmans. «La seconde étape, observant la mise en œuvre de ce cadre, sera effectuée en 2012 pour les deux pays. Le résultat risque d’être très intéressant», prévient Xavier Oberson. On aimerait y croire, sauf que les Etats-Unis ont eu droit à passer d’un coup les deux phases de l’examen, mené par des experts indiens et espagnols. Or, c’est à peine si certaines recommandations mentionnent le problème de l’identification des ayants droit en liaison avec certaines structures juridiques en vigueur dans certains Etats américains. De là à parler d’un traitement de faveur de l’OCDE, il n’y a qu’un pas. On se souvient que la Suisse avait déjà fait les frais du «deal» de dernière minute conclu au Sommet de Londres, le 2 avril 2009, entre la France et la Chine permettant de ne pas mettre Hongkong et Macao sur la liste noire des paradis fiscaux. A ce propos, relevons que le processus mis en place par le Forum mondial est présidé par la France, assistée par quatre vice-présidents d’Inde, du Japon, de Jersey et de Singapour.

«Comme la Suisse continue de prendre certaines mesures, c’est sûr qu’elle sera bientôt devancée par la ville-Etat. On a commencé par chasser les Américains, puis les Européens. La purification a un prix. Pourquoi serait-il admissible de frauder le fisc kazakh, par exemple?» s’interroge Carlo Lombardini, avocat spécialiste du droit bancaire. Et de poursuivre: «Je ne sais pas si le secret bancaire est plus fort à Singapour, ce qui compte c’est le sentiment des clients. N’est-ce pas l’avocat de Liliane Bettencourt qui conseillait à sa cliente de quitter la place financière suisse pour celle de Singapour?»

Paradis Synonyme de la réussite de Singapour: la construction du Marina Bay Sands, l’hôtel le plus cher au monde.

La bonne stratégie? Son collègue André Grüber partage ce sentiment: «Malheureusement, à force de peindre le diable sur la muraille, nombre de clients étrangers et suisses sont désormais convaincus que le secret bancaire est meilleur à Singapour.» Et de dénoncer le comportement de quelques banquiers: «Dans une certaine mesure, des banquiers suisses, notamment ceux présents à Singapour, sont à tout le moins complices de cette psychose collective. En effet, combien d’entre eux surfent sur l’effet placebo de la cité-Etat (aucun effet sur le «patient-client bancaire» sauf dans son esprit) pour apaiser et garder leur clientèle.»

A l’aune de la très forte présence de certaines banques suisses à Singapour, on peut s’interroger sur leur stratégie. Credit Suisse n’annonce pas moins de 5000 collaborateurs sur place et l’UBS 2500! Bien davantage que sur la place financière genevoise, par exemple, où Credit Suisse n’emploie «que» quelque 1300 personnes. Et encore ce chiffre ne cesse de décliner depuis une quinzaine d’années. Le constat est identique pour l’UBS. Et la liste est longue: Julius Baer, Pictet & Cie, BNP Paribas Suisse, BSI, EFG, LGT, Crédit Agricole Suisse ou encore Sarasin. Officiellement, il s’agit d’être là où le nombre de riches croît fortement. D’autant que pour décrocher une licence bancaire, il faut remplir un dossier très complet: bilans prévisionnels, descriptif des types d’opérations envisagées, liste du personnel prévu, etc. «Toutes les banques ne sont pas totalement en conformité avec leur business plan. Par exemple, en n’ayant pas assez recruté localement pour le management ou en ayant peu développé les marchés asiatiques.

La Monetary Authority of Singapore (MAS) a déjà rappelé à l’ordre certains établissements. Elle pourrait vouloir faire un exemple avec une banque suisse», s’inquiète un financier suisse établi sur place. A ce propos, invité sur place par la Swiss Business Association de Singapour à s’exprimer le 17 juin dernier, Daniel Zuberbühler, vice-président de la FINMA, a incité les banquiers suisses présents à se réveiller: «Vous ne pourrez pas faire la même chose qu’en Europe.» Spécialistes de ce pays, Christophe Lamon et Christian Meylan, anciens conseillers de la MAS, fondateurs de Swiss Middle East Advisors, constatent une certaine évolution: «Lors des derniers exemples de demande de licence, les conditions d’octroi sont devenues plus contraignantes. Le simple transfert de comptes n’est plus suffisant comme justification économique. Par ailleurs, la MAS est devenue sensible aux nouvelles velléités de transparence de la Suisse, en particulier face au risque de blocage des comptes. Par exemple, des comptes enregistrés à Singapour pour des clients indonésiens se retrouveraient bloqués par la Suisse du fait que le back-office est opéré en Suisse, voire que la maison mère se trouve en Suisse.» En effet, si Singapour n’a pas de problèmes fiscaux majeurs à gérer vis-à-vis de ses voisins, elle a un souci d’ordre géopolitique. Celui de n’indisposer ni son protecteur américain, ni son grand voisin chinois, ni ses autres voisins parfois turbulents.


Serge Guertchakoff
Bilan. 28 juillet 2011

Secret Bancaire

Les fonctions et profils bancaires à risque en 2010

La pratique en Suisse: «La culture de la confidentialité, ça ne s’achète pas»

Le consultant Christophe Lamon distingue trois approches par rapport aux données de clients en Suisse. «Au plan de la confidentialité des données de clients, les approches varient fortement en Suisse», indique Christophe Lamon, consultant bancaire et fondateur de Swissmefin à Crans-Montana.

La vraie banque privée genevoise: Ces banques sont structurellement construites autour de la confidentialité. Des groupes comme Lombard Odier et Pictet ont pour principe de ne pas employer de personnes domiciliées à l’étranger (ou très exceptionnellement) et veillent à ce que leurs collaborateurs adhèrent personnellement aux valeurs de la discrétion. Côté informatique, les employés travaillent sur des comptes anonymisés. Le fichier clients est complètement séparé de l’opérationnel standard. Et pour avoir accès au nom d’un client, deux cadres (avec une autorisation spéciale) doivent avoir deux clés avec deux codes pour pouvoir entrer dans ce système blindé.

Les banques suisses universelles: Là, le private banking est une ligne de métier parmi d’autres. On se trouve à un niveau inférieur par rapport aux banquiers privés. Les noms des clients sont accessibles, mais s’ils sont numérotés ou à pseudonymes, il existe un système spécifique pour accéder au formulaire A. Dans tous les cas, la référence client est attachée à la base de données.

Les banques étrangères en Suisse: Là, on trouve de tout. Certaines sont à un très haut niveau de sécurité des données. D’autres «ont acheté le pas-de-porte qu’est Genève» mais valorisent peu la confidentialité, pour eux source de coûts, alors qu’ils sont davantage axés sur les produits d’investissement, qui requièrent de la publicité. «Investir dans la confidentialité qui est la culture bancaire suisse, et y veiller par un autocontrôle de la communauté bancaire, c’est essentiel pour l’image de toute la place financière», préconise Christophe Lamon.

Les dirigeants de banques suisses sont inquiets. L’image du secteur est à nouveau écornée avec l’affaire HSBC. Celle-ci vient s’ajouter au scandale UBS et des 4500 noms de clients qu’il a fallu livrer au fisc américain. Pour ne rien arranger, la Confédération n’a pas eu d’autre choix l’année dernière que d’abolir la distinction entre la fraude et l’évasion fiscale pour échapper à la fameuse liste noire de l’OCDE.

Dans ce contexte tendu, les milliers de données sur les comptes livrés à la France par l’ancien informaticien Hervé Falciani font particulièrement mal. Plus que jamais, la confidentialité et la discrétion sont le cœur du secret bancaire. Bilan dresse une liste de quelques fonctions et profils sensibles dans les banques. 

Le personnel étranger

Les employés étrangers des banques suisses doivent maudire Hervé Falciani. Son geste jette la suspicion sur tous les spécialistes engagés hors des frontières ces dernières années. Jeune et qualifié, il a le profil type du personnel recruté depuis 2004, date de l’entrée en vigueur des accords sur la libre circulation des personnes signés avec l’Union européenne. Depuis lors, les banques ont trouvé passablement de talents en France ou en Allemagne. A Genève, le nombre d’étrangers travaillant dans la finance a augmenté de 34% entre 2005 et 2008, passant de 4940 à 6620personnes. Par comparaison, cette hausse est de 8% pour les employés titulaires d’un passeport rouge à croix blanche, selon l’Office cantonal de la statistique.

Selon nos sources, une importante banque privée mènerait actuellement une réflexion stratégique sur les restrictions à apporter à l’engagement de personnel étranger aux postes stratégiques. En particulier, elle songe à éviter de tels recrutements dans les fonctions informatiques et dans celles de gestion, où l’employé à l’accès à des données de clients. A l’image de l’Américain 

Bradley Birkenfeld, l’ancien gérant de fortune d’UBS, le personnel formé à l’étranger ne serait plus considéré comme suffisamment fiable, car susceptible de subir des pressions policières de leur pays d’origine.

Au niveau de l’Association suisse des banquiers, on considère l’affaire HSBC comme un cas isolé. «L’honnêteté d’un collaborateur ne dépend pas de la nationalité, qui n’est pas un critère d’embauche», dit Thomas Sutter, porte-parle de l’ASB.

Les positions à risque

Informaticiens: Depuis une dizaine d’années, toutes les banques ont numérisé leurs fichiers centraux dans lesquels sont regroupées les informations sur les clients. Des données particulièrement sensibles qui comportent les noms des titulaires de comptes. «Cette informatisation s’est avérée nécessaire pour répondre aux contrôles et demandes relatifs aux clients et aux stratégies de type CRM de suivi de la relation clientèle», relève Jean-Christophe Pernollet, responsable du bureau de Genève de PricewaterhouseCoopers. Depuis les années nonante, le renforcement de la lutte contre le blanchiment d’argent a clairement changé la donne. «Dans le cas d’une demande d’entraide administrative pour une affaire pénale, il n’est pas possible de passer en revue le nom de 50000 clients ou ayants droit économiques manuellement», illustre-t-il. Au centre du dispositif de numérisation, les informaticiens ont un poste particulièrement délicat.

Personnel employé au fichier central: «Depuis l’affaire de la fuite chez LGT au Liechtenstein en 2006, les banques ont vérifié et parfois renforcé leurs systèmes de contrôle», souligne Jean-Christophe Pernollet. Cela a concerné aussi le fichier central, qui est l’un des services les plus exposés. Les personnes y travaillant ont un accès direct aux photocopies de passeport de la clientèle et aux formulaires d’ouvertures de comptes. Dans certaines banques, les employés de ce service doivent laisser leur téléphone mobile à l’entrée. Cette procédure a comme objectif d’éviter que des éléments malintentionnés ne photographient avec leur mobile des données sensibles.

Assistantes de gestion: «Oui, il s’agit de postes à risque», selon Jean-Christophe Pernollet. Chargées du suivi des comptes, elles passent les ordres de Bourse, répondent aux téléphones des clients et préparent les voyages des gestionnaires qui vont prospecter hors des frontières de la Confédération. «Avec la crise et les réductions de coûts, il arrive que des assistantes travaillent pour deux ou trois gérants différents», relève un gestionnaire de banque. Elles connaissent alors un grand nombre de clients, ce qui peut s’avérer dangereux. «Une liste de 500 ou 600 noms ne manquerait pas d’intéresser des fiscs étrangers que l’on sait prêts à rémunérer, parfois à hauteur de plusieurs millions, les employés indélicats», insiste le gestionnaire de fortune, inquiet.

Source : Bilan
4 juillet 2011