Les traders remplacés par des robots ?

Les machines ont envahi la finance et le trading. Une course au meilleur algorithme qui n’est pas près de s’arrêter, même si l’humain a encore des cartes à jouer.

Les analystes n’y ont pas cru, ils ont perdu. Le 23 juin 2016, les Britanniques votaient pour le maintien ou non du Royaume-Uni dans l’Union européenne. Confortés par les derniers sondages, les marchés anticipaient un refus du Brexit. Le lendemain, après le dépouillement, la surprise fut de taille et les pertes conséquentes pour les fonds spéculatifs. Mais l’un d’eux, au moins, pouvait se frotter les mains. À l’occasion de ce scrutin, le fonds japonais Simplex avait en effet décidé d’expérimenter un ordinateur de trading de dernière génération. Et la machine a anticipé ce que la plupart des traders estimaient improbables : elle a misé sur un « oui » au Brexit, uniquement sur la base d’indicateurs techniques de marché. Résultat : un gain de 3,4% sur la journée du 24 juin, désormais connue sous le nom de Vendredi noir, alors que dans le même temps l’indice Nikkei clôturait en recul de 7,9%. Simple hasard statistique ?

Rationnels, imperméables au stress ou à la fatigue, les robots-traders seraient-ils en train de supplanter le cerveau humain ? C’est loin d’être de la science-fiction. Des millions d’ordres d’achat et de vente sont déjà réalisés chaque seconde. Selon différentes études, entre 70% et 90% de l’ensemble des transactions boursières dans le monde sont ainsi effectuées par des algorithmes. «Cela fait une quinzaine d’années que tout le monde s’y est mis, avec des fortunes variables», confirme Christophe Lamon, directeur et cofondateur de la société de conseil SwissmeFin.

Pionnier du genre, le fonds Renaissance affiche ainsi des performances au-dessus de la moyenne des marchés. « La digitalisation de l’ensemble des secteurs économiques repose sur l’analyse et la gestion des données, explique Nathalie Feingold, fondatrice de npba, une société de conseil spécialisée dans la gestion des données. Le principe est simple : alimenter la machine avec une masse d’informations et affiner les données afin d’obtenir des calculs pertinents, et donc des décisions correctes. »

Entre 70% et 90% des transactions boursières dans le monde sont effectuées par des algorithmes

Certains robots, dits sémantiques, parcourent le web à la recherche de données très variées, comme des chiffres issus d’indicateurs économiques et boursiers bien sûr, mais aussi des rapports d’activités d’entreprises ou d’ONG, ou encore des millions de brèves et d’articles d’actualité et de publications sur les réseaux sociaux. Le but : exploiter des algorithmes toujours plus fins pour détecter des tendances et des signaux avant que le reste du marché n’en prenne conscience. Toute la difficulté de l’exercice étant d’éliminer le «bruit», ces données et résultats non pertinents qui masquent la perle rare recherchée.

Avantage à celui qui trouvera l’«algorithme ultime», capable de battre tous ses concurrents. « Dès qu’une avancée est réalisée, l’ensemble des acteurs la copie, tempère Christophe Lamon. Ça bouge très vite. » Un point de vue partagé par Sandro Saitta, Chief Industry Advisor au Swiss Data Science Center, un centre de compétences mis sur pied par l’EPFL et l’EPFZ : « L’essentiel de la technologie est en accès libre, provenant souvent de recherches universitaires. Les algorithmes sont généralement écrits dans des langages de programmation open source comme R ou Python. »

Le défi pour les ingénieurs est donc de s’appuyer sur ces bases et d’y ajouter leurs propres algorithmes, en fonction du secteur d’activité et des résultats recherchés. Algorithmes qui doivent être en permanence améliorés sous peine de perdre leur avantage stratégique. « Pour faire la différence, il faut pouvoir s’attacher les services des meilleurs data scientists, des profils rares et très courtisés sur le marché de l’emploi », confirme Sandro Saitta, qui est aussi président de la Swiss Association for Analytics.

Sans compter que l’échec se paie très cher : « Le but, c’est évidemment de pouvoir générer des bénéfices sur le long terme, en dépit des investissements importants que nécessite l’algotrading, souligne Christophe Lamon. Plus d’un s’en est mordu les doigts et a dû fermer boutique lorsqu’ils a réalisé que son algorithme prétendument révolutionnaire n’apportait pas les résultats escomptés, ou pire, sous-performait le trading classique. Un trader performant, bien informé et au fait des mouvements dans son univers d’investissement reste encore compétitif face aux machines. »

Martin Longet
Magazine Swissquote, juillet 2018