Investir sur la base des algorithmes de plus en plus intelligents

Comment l’exploitation et la valorisation des données vont avoir des répercussions sur les rendements, le reporting et la personnalisation de la gestion.

Recommandation d’achat ciblée sur Amazon, suggestion adaptée d’offres d’emploi sur LinkedIn ou encore itinéraire le plus pertinent proposé par Google Map, les géants de la tech savent cibler leurs utilisateurs et les fidéliser au maximum. Ce mouvement est également en train de s’accélérer dans la finance et la gestion de patrimoine, où les institutions investissent massivement.

Big data, intelligence artificielle, machine learning ou blockchain sont les catalyseurs de cette transformation. Tour d’horizon de ce qui va changer pour la gestion de votre patrimoine, peut-être plus rapidement que vous ne le pensez.

Des gestionnaires 2.0

D’après le dernier EY Wealth Management Outlook, les modèles d’affaires numériques basés sur la technologie écarteront les gestionnaires d’actifs classiques d’ici à 2025 déjà. «Les nouveaux gestionnaires se distinguent par une approche de conseil numérisée, fondée sur les événements de la vie, qui génère une véritable plus-value pour les clients fortunés», d’après Peppi Schnieper, associé chez EY Suisse.

Plus de la moitié des banques internationales ont déjà mis en place un chief data officer. Leur rôle: valoriser les quantités gigantesques de données numérisées ces dernières années. Dans la dernière étude «Vision technologique» d’Accenture, les trois quarts des répondants prévoient que, dans les trois prochaines années, les banques déploieront l’intelligence artificielle comme principale méthode d’interaction client.

Moins de frais, plus de qualité

L’avantage du big data pour le client est qu’il devient possible de standardiser ce qui était auparavant réservé aux clients privés, résume Christophe Lamon, consultant bancaire, cofondateur et directeur de SwissmeFin. «Globalement, avec la réduction du coût du traitement de masse des données, le niveau de sophistication des gestions privées s’est fortement accru, et les frais de ces gestions plus complexes deviennent désormais abordables.»

Pour le consultant, ces progrès technologiques ont permis avant tout «l’industrialisation des gestions individualisées et contextualisées», améliorant à la fois le monitoring du risque et de la performance, mais aussi celui des dimensions fiscales, environnementales et sociales. «Pour certaines banques, le traitement des données permet en outre de simuler en temps réel les impacts des décisions d’investissement.»

Dans la gestion de fortune, la segmentation client s’est longtemps résumée à trois grands profils: défensif, neutre, dynamique. Un schéma qui appartient déjà au passé. «Jusqu’à récemment, la connaissance du client était limitée aux informations reçues pendant la phase de création du compte, rappelle Alain Broyon, partenaire de Planet of Finance, fintech genevoise axée sur les services financiers digitalisés.

«Aujourd’hui, avec l’arrivée des robo-advisors sur le marché de la gestion d’épargne, on peut récupérer de plus en plus d’informations sur les clients, leurs habitudes, leur situation familiale, et ce sans être encombrants, le tout grâce à des interfaces simples et accessibles.» 

Le reporting aussi devient plus transparent et pointu sur l’exposition au risque du portefeuille, le degré de diversification et la contribution des différents actifs à la performance. Patrick Barnert, CEO de Qumram, anticipe les mêmes évolutions. La fintech zurichoise qu’il dirige permet aux banques d’avoir une vision globale des interactions digitales de leurs clients. «Grâce aux données, elles pourront mieux anticiper les besoins des clients et proposer des offres pertinentes, au bon moment et au bon client.»

Créateur d’alpha? 

Toutes ces évolutions technologiques seront-elles propices à la génération de rendements améliorés? Pour Damien Challet, qui donne le cours de finance et big data à l’EPF Lausanne, les progrès du big data dans d’autres secteurs (comme la médecine) ne sont pas aussi facilement transférables à la finance. «La finance est très spécifique car elle est non stationnaire, il faut donc sans cesse recalibrer les modèles. Qui sait si les marchés ne vont pas totalement paniquer demain ou la semaine prochaine par exemple?» Pour lui, l’utilisation du big data et des données alternatives peuvent réduire les surprises (résultats d’une entreprise par exemple), mais de grands progrès restent à faire pour une utilisation prédictive (évolution du cours d’une action par exemple).

Pour Alexandre Andreani, CIO chez Aris Wealth Management à Genève, investir sur la base de l’analyse de données à large échelle offre des opportunités de surperformance du marché (ou génération d’alpha), à condition d’intégrer dans les modèles prédictifs les scénarios extrêmes ou plus généralement de tenir compte de situations de marché spéciales. Pour le stratège, une fois intégrées les hypothèses qui minimisent les risques de perte, le data investing peut contribuer à un rendement supérieur, d’autant qu’il élimine la dimension émotionnelle de la gestion.

 «La recherche et la construction du portefeuille nécessitent toujours un jugement humain», souligne Anke Bridge, responsable des solutions numériques chez Credit Suisse. Mais les données permettent selon elle d’acquérir un «avantage informationnel» lors des décisions d’investissement, de tester empiriquement les hypothèses d’investissement, et de proposer au client les meilleures opportunités compte tenu de ses objectifs, appétit au risque et contraintes financières.

Marjorie Théry, Bilan, 4 septembre 2017
www.bilan.ch