Vers une gestion de la dimension fiscale…

Avec l’introduction de l’accord sur la taxation de l’épargne et les projets de centralisation des
back-offices, les exigences multi-réglementaires se sont peu à peu imposées au niveau de la
logistique bancaire. Après quelques déconvenues notoires, les banques ont identifié le coeur du
problème, soit la nécessité d’une gestion de granularités spécifiques à chaque pays pour les
référentiels clients et produits.

Reclasser les produits

Pour la base de donnée clientèle, cela implique l’administration de nouveaux attributs, tels que
le secteur d’activité du client ou les régimes de fiscalité électifs. En outre, la définition du «sujet»
de la gestion devient importante, car si en Suisse le client mandant (sujet contractuel) est le
sujet de gestion de manière univoque, dans certains pays le sujet fiscal devient prépondérant.
Ceci est particulièrement visible dans le cas de comptes joints, où la définition de la politique
d’investissement (profil performance/risque) se fait au niveau du mandant, en l’occurrence la
réunion de plusieurs personnes, alors que les contraintes fiscales et réglementaires sont
définies individuellement pour les membres.

Au niveau de l’univers des produits, l’évolution est un peu semblable, avec l’apparition de
nouveaux véhicules d’investissement spécifiques à chaque pays (Attipici, DCS, Black funds,
etc.). Il est nécessaire d’autre part de reclasser les produits homonymes, posant une
problématique identique à celle que pose la notion d’intérêt dans le cadre de la Directive, soit
des termes recouvrant des réalités différentes pour chaque pays. A titre d’exemple, les produits
à capitaux garantis entrent en Italie dans la catégorie de produits atypiques, respectivement
d’obligations suivant le niveau de la garantie. En Suisse, ils sont gérés comme des produits
structurés.

Avec la Directive de l’UE, les avantages comparatifs de la Suisse s’amenuisent, et l’on peut
légitimement s’attendre à un accroissement des exigences de l’Europe à moyen terme. Dès
lors, quelle gamme de services voulons-nous offrir à nos clients étrange.

Au niveau des banques, on distingue les offres de service suivantes:

  • Gestion patrimoniale classique avec une optimisation risque/ revenu brut. Elle se complète avec la mise en place de coquilles fiduciaires étrangères afin d’éviter la taxation (fondation/trust). Quid du jour où ces structures tomberont sous liste noire ou sous obligation de déclaration?
  • Des véhicules dédiés aux investisseurs étrangers. Ces produits ont divers objectifs: lors de taxations particulièrement défavorables, ils peuvent servir de produits de substitution (les Repos inversés pour l’Italie par rapport à des dépôts en liquidités). Ou ils répondent à des problématiques fiscales spécifiques (solutions pour gérer les stocks options ou les produits de retraite défiscalisés). Cependant, comme ces produits sont vendus indépendamment, ils entrent souvent en collision avec les objectifs de pondération de la gestion discrétionnaire standardisée.

Optimisation intégrée

  • L’optimisation statique (sur la base d’attributs stables des clients et des produits) constitue l’étape décisive en intégrant les aspects fiscaux au niveau du système de gestion. Elle nécessite la prise en compte des régimes fiscaux applicables dans le référentiel client et des contraintes fiscales dans le référentiel produit. L’intégration de contraintes de gestion dynamiques se fait par rapport aux montants, respectivement des ratios de fortune et permet de déterminer les produits fiscalement incompatibles par portefeuille.
  • Le degré ultime au niveau de la gestion proprement dite est la capacité à intégrer, par type de produit, les contraintes liées aux transactions, afin d’optimiser la taxation des plusvalues. Cette problématique est particulièrement importante lors de re-balancings où il s’agit de déterminer les positions fiscalement liquidables en tenant compte de la date d’acquisition et des méthodes d’évaluation.

Les compétences nécessaires pour relever le défi posé par les nouveaux services sont au nombre de trois, soit: l’acquisition de savoir en matière fiscale onshore, la capacité à structurer et intégrer les nouveaux processus et bases de données produits et clients dans un système bancaire originellement conçu pour les besoins suisses, et enfin une gestion de produits bancaires de qualité. Ce dernier aspect couvre la génération et la structuration de produits spécifiques, mais surtout la capacité à gérer les produits en deux niveaux parallèles, au niveau des composants (fiscalement décisif), respectivement au niveau vendu au client.

Actuellement, l’offre de structures fiduciaires fait partie de l’offre standard des banques. Depuis 2001, on assiste à l’éclosion de véhicules d’investissement spécifiques. Toutefois, la dimension fiscale n’est pas encore prise en compte pour tous les produits. Au niveau des systèmes de gestion, certaines banques ont identifié des produits inadéquats pour une clientèle donnée, mais aucune n’a systématisé les contraintes sur ces critères.

Paradoxalement, les banques à la pointe sont celles qui ont adopté une approche produit. Toutefois, elles se heurtent à des problèmes d’intégration et à une gestion de produit insuffisamment structurante. Quant aux banques qui ont acquis de véritables compétences via des centralisations logistiques, elles ont mésestimé l’aspect gestion de produit.

En conclusion, on peut dire que si la banque privée suisse dispose de compétences et de savoir-faire exceptionnels en ce qui concerne la relation clientèle et la gestion d’actif, elle devra maîtriser activement cette nouvelle dimension que sont les exigences spécifiques des pays, sans quoi elle risque d’être otage d’une lutte qui se réglera au niveau politique.

Le Temps, 14 septembre 2005